Lola lit Les silences des pères

Amine est un pianiste renommé sollicité dans le monde entier. Lorsqu’il apprend le décès de son père, il doit se rendre auprès de ses sœurs, à Trappes, la ville de son enfance, 22 ans après l’avoir quittée avec la ferme intention de n’y jamais revenir ; Amine espère que ce sera une formalité, il a un concert important et n’a pas envie de s’éterniser. Mais il découvre par hasard, dissimulés derrière le tablier de la baignoire, des cassettes audio et un magnéto. Il écoute alors la voix de son père qui raconte sa vie en France de 1965 à 2006, à son propre père resté au Maroc. Cette voix qu’il a si peu entendue le bouleverse. Son père s’entourait de silence, Amine avait l’impression qu’il ne s’intéressait pas à lui. Le fils part alors sur les traces de son père, à la rencontre de ceux qui l’ont croisé, accompagné, aimé. Il comprend alors de quoi les silences paternels étaient faits.

Un roman sur la relation entre un fils et son père mais aussi sur l’immigration et la mémoire. Amine apprend ce que son jeune père a vécu en arrivant en France : les humiliations, la dureté du quotidien, l’exil, la solitude, le sacrifice mais aussi l’amitié, la solidarité, le compagnonnage. Amine découvre son père, l’énergie de son père, son humour, sa verve, ses engagements, sa tristesse aussi d’avoir dû abandonner un amour, sa déception.

Un texte bouleversant, plein de pudeur et de justesse ! 

Avez-vous lu son roman précédent Voyage au bout de l’enfance ? Sublime !


Les silences des pères / Rachid Benzine – Editions du Seuil – aout 2023 – 176p

Lola lit Les naufragés du Wager ♥

En aout 1740, le Commodore Anson reçoit l’ordre du roi Georges II de pourchasser un galion espagnol dans les eaux du Pacifique pour piller son trésor. C’est l’époque de la Guerre de l’Oreille de Jenkins qui oppose, principalement dans les Caraïbes, les royaumes de Grande Bretagne et d’Espagne. A la tête d’une escadre de 6 navires de guerre et 2 de transports, le Commodore Anson entame alors un périple semé d’embûches. David Grann, l’auteur, journaliste à The New Yorker et écrivain, concentre son récit sur le naufrage du Wager qui, le 14 mai 1741, après avoir franchi le Cap Horn, se retrouve isolé du reste de la flotte et s’échoue sur une petite île hostile et glacée de Patagonie. Les survivants, capitaine, officiers, marins, militaires, canonniers vont affronter des températures glaciales, le manque de nourriture et d’eau, les maladies, les tempêtes, les vengeances, les meurtres et les mutineries. 3 clans se forment et prennent des décisions différentes. Et c’est ainsi que le 28 janvier 1742, 283 jours après le naufrage, une trentaine de marins affamés et malades débarque sur les côtes du Brésil avec à leur tête le charismatique canonnier Bulkeley qui livre sa version des faits en haut lieu. Mais en mars 1746, un nouveau rebondissement dans l’affaire du naufrage du Wager alors qu’un bateau accoste dans le port de Douvres avec à son bord, le capitaine Cheap, l’enseigne Byron et le lieutenant des marines Hamilton abandonnés sur l’île patagone par Bulkeley et ses hommes et qui ont une toute autre version des faits. La guerre est déclarée ! Car chacun risque la peine de mort pour mutinerie, insubordination, rébellion, désobéissance et autres manquements au code maritime. Les rescapés vont devoir s’affronter à coup de journaux de bords, de preuves écrites, de témoignages.

J’ai adoré ! Tous les faits relatés sont véridiques, issus des recherches pharaoniques entreprises par l’auteur. Une fiction non narrative (ou littérature du réel), un genre qui raconte des faits réels sous une forme littéraire. Et ça fonctionne très bien tant on s’y croirait. Après les naufragés du Bounty, les naufragés du Wager. Un excellent livre d’aventure !


Les Naufragés du Wager / David Grann – Editions du Sous-sol – aout 2023 – 432 pages

traduit de l’anglais (États-Unis) par Johan-Frédérik Hel Guedj

Lola lit Casablanca Circus

Casablanca Circus par Chami-KettaniMay et Chérif nés au Maroc, ont étudié à Paris. Histoire pour l’une, architecture pour l’autre, tous deux décident de retourner dans leur ville d’origine lorsque May tombe enceinte de leur deuxième enfant ; Casablanca verra donc naître Selma, leur petite fille tant attendue et à laquelle May qui tient un journal de grossesse, écrit chaque jour. En arrivant au Maroc, Nessim un lointain cousin propose à Chérif de travailler sur le projet de réhabilitation d’un bidonville qui défigure la ville. Une chance pour Chérif et son ami Pierre qui voit en ce projet une opportunité de faire connaitre le cabinet d’architecture qu’ils comptent installer. May n’est pas du même avis ! Où vont aller les habitants du karyane d’El Bahriyine ? May est allée à leur rencontre et a découvert la vie des bidonvillais que ce projet de recasement ne leur convient pas. Chacun d’eux a organisé sa vie dans le bidonville et survit grâce à des petits boulots (pêcheur, chiffonnier, couturière, la solidarité y est importante, la promiscuité de la ville et de l’océan aussi. May s’attache à plusieurs d’entre eux, essaie de détourner Chérif de ce projet qu’elle réprouve.

Un roman qui aborde plusieurs thèmes en mêlant l’individuel et le collectif : le retour dans un pays d’origine, les différences culturelles, les rapports homme/femme, les désaccords profonds dans le couple, le délitement de l’amour, mais aussi la métamorphose des villes qui se tournent vers l’extérieur, comment un projet politique qui a l’air bienfaisant, reloger des habitants de bidonville dans des logements neufs et équipés, peut se révéler néfaste pour ces individus déjà fragiles. En intercalant les pages du journal de grossesse, l’autrice permet au lecteur d’entrer dans l’intimité de May et ajoute de la sensibilité au texte. Une lecture très intéressante mais qui se mérite car l’écriture n’est pas aisée avec des phrases complexes et longues (parfois une demi-page).


Casablanca Circus / Yasmine Chami – Editions Actes sud – aout 2023 – 208p

Lola lit Et vous passerez comme des vents fous ♥♥♥

C’est une photo sépia qui aurait donné naissance à ce roman ; on y voit face à face, très proches et presque de la même taille, un homme qui tient un ours debout enchainé et muselé et le regarde avec un mélange de domination et d’amour. L’autrice Clara Arnaud, grande voyageuse, a posé son intrigue dans les Pyrénées, plus exactement dans le Couserans un pays de montagnes autour de Saint Girons, où l’on suit le temps d’une estive, Gaspard un berger expérimenté et Alma, une éthologue passionnée qui, pour un programme du Centre national de la biodiversité, doit pister la Negra, une ourse de stature exceptionnelle et ses deux oursons, observer leur comportement, enquêter, collecter des traces pour comprendre, expliquer et trouver des solutions à la prédation qui excite la haine des éleveurs et de certains bergers. Gaspard lui mène les bêtes vers les hauteurs depuis plusieurs années, il aime cette parenthèse, la solitude et les conditions extrêmes qui l’accompagnent durant ces mois d’estive. Mais cette année la peur s’est invitée, l’angoisse étreint Gaspard qui revit l’accident mortel de l’an passé. Le roman s’ouvre sur la capture d’un ourson par le tout jeune Jules qui se rêve montreur d’ours et obtient, au début de l’été 1887, son carnet de saltimbanque, fameux sésame, qui lui permet de se produire avec son ourse dans toute la France. Mais Jules a des rêves plus grands et veut conquérir l’Amérique, il quitte sa maison d’Arpiet sans se retourner.

Un roman passionnant, romanesque et très bien documenté ! Une histoire portée par des personnages riches et attachants dans laquelle l’ours cristallise passion et haine encore et encore, comme au temps des Orsalhèr (montreurs d’ours) qui furent légion au XIX siècle dans cette région pauvre où une école avait même été créée. L’ours a toujours fasciné, il est tantôt animal sanguinaire tantôt peluche destinée à cajoler les enfants. La réintroduction de l’ours brun dans les Pyrénées, tout comme le retour du loup a réveillé des peurs ancestrales bien compréhensibles. Ce roman expose avec clarté la situation, s’interroge et ne prend pas partie sauf contre les extrémistes, les agressifs, les enragés, les belliqueux… C’est aussi (et surtout) une ode à la nature, la montagne, la faune et la flore y sont sublimées et les traditions respectées.

Un coup de cœur ♥


Et vous passerez comme des vents fous / Clara Arnaud – Editions Actes Sud – aout 2023 – 384p

Lola lit Un simple dîner ♥

Dans leur bel appartement parisien en cette fin de mois d’aout caniculaire, Diane s’affaire en cuisine ; ce soir Etienne a convié un couple de ses amis, Johar et Rémi. Tous les quatre se retrouvent autour de la table mais aucun n’est vraiment ravi de ce dîner. Rémi pense beaucoup à Manon, une jeune collègue avec qui il entretient une relation amoureuse. Johar doit décider dans la soirée si elle accepte le poste de directrice générale offert par Carl qui attend sa réponse avec impatience mais avec l’assurance qu’elle va accepter. Etienne, en perte de vitesse dans son cabinet d’avocats, compte sur l’amitié de Johar pour signer un gros contrat. Quant à Diane, elle souffre de sa timidité maladive, de ne pas savoir quoi dire, du comportement sec de son mari, de son métier de kiné, Diane craint tout simplement de ne pas être à la hauteur au milieu de ces gens de pouvoir. Le curry est pourtant réussi mais les convives ne s’y intéressent pas vraiment. Les heures s’étirent longues et chaudes, il fait lourd dans l’appartement et l’atmosphère est étouffante. Ce simple dîner va faire basculer les vies de Johar, Rémi, Etienne et Diane.

Beaucoup de sujets abordés dans ce premier roman : la place des femmes dans le couple et au travail, les origines, la maternité, l’amitié aussi. L’atmosphère est très bien décrite, la chaleur, les odeurs de cuisine, on sent la tension qui habite chacun des personnages. L’évolution des personnages et de leurs relations, au fil du récit est très intéressante, certains vont perdre de leur assurance quand d’autres vont s’affirmer. Un huis clos oppressant qui m’a fait penser au théâtre.

Un excellent premier roman, une autrice à suivre ♥


Un simple dîner / Cécile Tlili – Editions Calmann Lévy – Aout 2023 – 192p

Lola lit Ce que je sais de toi

Tarek a une dizaine d’années quand son père lui demande si plus tard il choisira le métier d’avocat ou de médecin. L’enfant choisit médecin, comme son père. Adulte, Tarek a donc suivi le chemin tracé par son paternel, il est devenu médecin et pratique dans le cabinet familial cairote. Un soir par semaine, il se rend dans un dispensaire du Moqattam, un quartier défavorisé. C’est là qu’il va faire une rencontre qui va bouleverser sa vie. Ali se présente pour sa mère malade. Une amitié nait entre le médecin, le jeune garçon et sa mère. Mais l’amitié se transforme en amour, ravageant tout sur son passage.

Je ne partage pas l’engouement quasi unanime pour ce roman. L’écriture est certes très agréable mais je me suis ennuyée durant la première partie que j’ai trouvée longue, longue. Curieuse, je voulais savoir qui était celui ou celle qui se cachait derrière ce TU utilisé pour raconter l’histoire, alors je n’ai pas abandonné. La deuxième partie du roman est bien plus intéressante, le rythme s’accélère et l’histoire s’enrichit. Un avis mitigé donc : je suis passée à côté de cette pépite 🤔


Ce que je sais de toi / Eric Chacour – Editions Philippe Rey – août 2023 – 296p

Lola lit Vous ne connaissez rien de moi ♥

Le 16 aout 1944, à 3 jours de son anniversaire, Simone 23 ans est traînée dans les rues de Chartres par les FFI. Comme d’autres femmes, Simone sera humiliée, frappée, tondue et marquée au fer rouge parce qu’elle est tombée amoureuse d’un allemand. L’autrice a imaginé la vie de cette jeune femme immortalisée par le reporter-photographe hongrois Robert Capa (1913-1954) le cliché a fait le tour du monde. Simone est une jeune femme fascinée par la puissance de l’Allemagne nazie. Comme d’autres français à l’époque, Simone est persuadée que la France va se redresser grâce à son occupant. Elle a des rêves de grandeur, de liberté et veut fuir sa famille bancale entre une mère alcoolique, un père lâche et une grande sœur craintive. Simone adore la langue allemande qu’elle étudie au lycée et profite de ses connaissances pour trouver un travail de traductrice. Son engagement, ses amitiés après de l’ennemi valent à la famille la haine des voisins.

J’ai trouvé très intéressant de voir cette partie de l’Histoire du point de vue de cette jeune femme. Evidemment on la condamne pour sa légèreté et son égoïsme mais elle est adolescente au début de l’histoire, et on comprend qu’elle ait envie que la guerre se termine, de manger à sa faim, de retrouver un peu de gaieté et de liberté. Difficile de la juger, son attachement à Otto est sincère, elle veut juste aimer et être aimée. Au fil des chapitres, c’est Otto, l’officier allemand qui lui ouvre les yeux sur l’ignominie du nazisme. Un excellent premier roman ! ♥


Vous ne connaissez rien de moi / Julie Héraclès – Editions JC Lattès – aout 2023 – 384p

Lola lit Le chien des étoiles ♥♥♥

Le Chien des étoiles par Rouchon-BorieGio rentre dans son camp après un long séjour à l’hôpital à la suite d’une blessure sérieuse à la tête. Depuis son retour, Gio est différent, il a approché en rêve un monde inconnu, loin de la violence des gitans. Alors après que son clan est décimé lors d’un règlement de compte, Gio décide de fuir pour échapper à la cruauté du monde. Il entraîne Dolorès une ado échangée en paiement d’une dette, et Papillon un gamin orphelin qui ne s’exprime que par gestes, dans sa fuite pour un avenir qu’on espère plein de promesses. Leur errance les conduit dans un quartier louche où la violence les rattrape.

Un roman noir, sombre, sauvage où poignent la douceur et l’innocence. L’écriture de l’auteur est pleine de poésie et les personnages sont attachants. Une histoire triste à mourir, mais lumineuse à vous écorcher le cœur comme son précédent roman Le démon de la colline aux loups ♥♥♥


Le chien des étoiles / Dimitri Rouchon-Borie – Editions Le Tripode – aout 2023 – 240p

 

Lola lit Journal d’un scénario

Boris jubile ! Le célèbre producteur Jean Chabloz a adoré son scénario Les servitudes silencieuses, et lui promet qu’ils vont faire un beau film. Boris décide alors de commencer un journal, d’y noter tout ce qui touche à ce prochain succès annoncé. Il voit déjà l’affiche, Louis Garrel et Mélanie Thierry en couple star, du noir et blanc, de la poésie, des références cinématographiques pointues et des dialogues écrits. Quelques jours plus tard lors d’une soirée chez son copain Yann, Boris rencontre Aurélie, prof de cinéma, passionnée et pétillante. Lorsque Boris lui parle de son projet de film Aurélie est conquise. Boris exulte, tout va bien, c’est son heure ! Mais il va vite déchanter car son projet va subir quelques changements déconcertants sous la houlette de « Laurel et Hardy », deux producteurs de M6.

C’est drôle, intelligent, plein de références cinéma abordables. Entre pages du journal, dialogues réinterprétés, textos échangés par Boris et Aurélie, mails des producteurs, propositions d’affiches de Jujulafrite, et programme d’un festival de cinéma, je me suis régalée ! Même si j’ai trouvé la fin un peu attendue. Troisième roman de l’auteur lu et apprécié après Samourai et Broadway


Journal d’un scénario / Fabrice Caro – Editions Gallimard col. Sygne – aout 2023 – 208p